Quand Roro rencontre LeZo dans leur salle préférée, la séance prend parfois une allure du petit bar du coin. On se raconte ses plus belles croix, on partage les nouvelles des amis et les dernières infos du petit monde de l’escalade :
- Ohé, le falaisiste ! Un petit tour par la salle pour te refaire un peu les doigts ? Alors, toujours créateur de voies majeures ?
- Justement, oui ! Là je suis sur un truc énorme ! Je suis allé bartasser dans les collines, je suis tombé sur une barre un peu cachée. Peu de voies, mais avec une ligne majeure : léger dévers au début, on suit une fine fissure, et sortie avec un toit, c’est dément !
- La ligne ultime de la région ?
- Non, pas si dur. Y’a des prises, en plus trop beau avec des colonnettes, des gros choux-fleurs et tout ! Mais pas si dur que ça. Parce qu’à mon avis y’a moyen de trouver des calages de genoux. Enfin va falloir nettoyer un peu, j’y retourne jeudi.
- Yes, tu me tiens au jus, je suis top motivé pour la première. C’est où ?
- ??? Chut… Bon, tu vois, l’éperon des quatre vents, tu passes dessous par le pas du chasseur de grives, faut franchir le plan des poules en tirant droit, et tu remontes le vallon des drailles. Ça monte un bon coup, mais après c’est plus fluide. C’est dans les barres sur la droite, avant le col des sangliers. Mais bon, c’est pas vraiment autorisé… Alors pour l’instant chuuut… pour vivre heureux vivons cachés !
- Et toi, ton projet au Castellas ?
- J’adore ! Trop classe, c’est majeur ! Mais toujours pas fait… J’y suis monté 3 fois avec Juju. Je bouge bien, j’ai trouvé le pas du haut, tu vois, avec une croûte en inter main gauche, qui te permet de replacer le pied droit en lolotte. Du coup t’es déjà placé quand tu arrives sur le plat. Bon, quand tu le choppes, faut le broyer ! Parce que t’es hyper tendu, faut un gainage de malade. Je suis tombé là 2 fois, mais si je le tiens, ça va faire, je le sens. La suite c’est rando. Je suis ultra motivé !
- T’es une machiiiine ! T’as bien progressé depuis deux ans.
- Heu… j’essaye ! C’est vrai que là je suis bien affuté. J’ai fait un cycle de force sur 6 semaines, ça m’a bien mis la caisse. Et comme je suis régulier en falaise, j’ai la rési qu’il faut. J’ai bien la patate, j’ai ouvert une porte : en salle je sors des blocs blancs-extrêmes !
- Ben moi, la dernière fois que j’ai essayé un bloc blanc-extrême, la seule porte que j’ai poussée, c’est celle de mon osthéo ! Du coup je me suis un peu calmé en bloc… Comme toi j’ai profité du beau temps sec pour faire plus de falaise. Avec le mistral y’avait une collante de folie. Au fait, j’ai acheté une corde plus fine. Vraiment légère, c’est trop agréable.
- Légère, oui, mais avec une bonne gaine?
- Nikel, elle tient bien le coup, et ultra fluide.
- Et tes soucis au bureau ? Cette nouvelle équipe ?
- Des tensions… Avec l’arrivée du nouveau chef, ça bouge ! Certains font des histoires pour un rien.
- Le mieux c’est de laisser parler, faire son boulot. Et ne pas s’énerver...
- Oui, au travail, quand on me fait un sale coup, je reste fluide…
- Ouah ! Mais c’est quoi ces chaussons ?
- Tu connais pas ? C’est les Talegrip, les derniers de Sport y va. C’est mortel !
- Ok, tu cherchais une arme de précision, mais là on dirait que t’as récupéré des chaussons de Geisha ! Tu arrives à les mettre ?
- Heu… Pour le moment c’est la douleur qui est mortelle. Tenue impeccable, gomme exceptionnelle et ils me vont comme un gant. Mais un gant très très serré ! J’espère qu’ils vont se détendre un poil, parce que là c’est l’enfer des pieds.
- Ou alors tu coupes un peu tes orteils, en plus tu gagneras du poids !
- Je te dis qu’ils vont se détendre. Les italiens sont les meilleurs pour les chaussons, ce sont des ventouses. Et en attendant je tourne avec les vieux ressemelés, plus les anciens neufs qui se sont faits à mon pied, et j’ai aussi les chaussons larges grande voie que j’ai lavé après la session de deep water, et ils ont un peu rétrécis au séchage...
- Et comment va Léa ?
- Ben… Question délicate. C’est un peu compliqué entre nous, on ne se comprend plus…
- Mince, je vous voyais déjà dans une longue histoire de passion rouge vif
- Et bien aujourd’hui c’est plutôt passion délavée, un peu couleurs pastels. Quand on s’est rencontré, au début, on s’est senti très proches, sur le coup. Maintenant y’a plus le fluide…
- Bon, t’as fini ta séance ? Tu bois un coup ?
- Allez, j’ai besoin de fluide…
On est tous excités bien avant d’apercevoir les gorges. En arrivant de La Palud, par la petite route qui serpente vers l’Escalès, le ton est toujours joyeux. Le projet du jour ? Qu’importe… aujourd’hui c’est ambiance Verdon. Sitôt descendus de voiture, on se précipite vers le belvédère. La vie passe alors à la verticale. Déjà les yeux scrutent les fissures, les dalles bombées et autres piliers de l’immense paroi. 300m de vide, c’est toujours saisissant.
Partir légers, baudrier et casque mis. Laisser les dégaines chanter, la corde sur l’épaule, déjà prête pour les rappels. Dernières vérifications du matériel. Un peu d’eau, du strap, couteau et ficelou au cas où, quelques coinceurs, … le premier rappel est marquant, surtout les matins frais quand le fond du canyon est encore noyé de brouillard. 7 ou 8 rappels, se laisser glisser au cœur de la faille. Bien, y’a plus qu’à remonter ! Trouver le départ de la voie en jouant le sanglier dans les buis, relire le topo. Qui part le premier ?
On le sait déjà, on partage une aventure qui restera gravée en nous. L’histoire commence, chaque fois différente. Se coincer dans une fissure toujours trop large, faire le grand écart entre des vagues cannelures, grattoner sur des dalles à goutte d’eau. Ici la nature est forte. Le calcaire gris, le soleil qui chauffe, l’eau qui gronde dans le fond des gorges, les éléments se combinent et nous émerveillent. En une dizaine de longueurs, on a le temps d’en profiter. Le relais permet une pose de l’esprit, et même si on reste vigilant, on profite du panorama. Assis sur un genévrier centenaire, adossé au fond d’une grotte, ou suspendu au milieu d’une dalle, le temps est alors à la contemplation.
dans Pichenibule
Heureusement, pas besoin de trop parler ; de toute façon les mêmes phrases reviennent régulièrement dans la journée, et à chaque sortie. Le célèbre Ouahhh, c’est bôôô !!! est le plus fréquent, suivit de près par Oh P… j’suis mal, fais gaffe. Puis la paire Donne du mou !!! et Attends, y’a des nœuds !!! Les expressions sont partagées par les cordées. Et ceci quel que soit le niveau. N’oublions pas les classiques On aurait dû prendre un peu plus d’eau et J’en peux plus de ces chaussons ! Car si la grande voie enrichi le grimpeur, elle appauvrit ses capacités de communication.
Votre cordée est bien rodée, les manips s’enchaînent… Puis ce brusque changement de dimension. Vous sortez enfin sur le plateau, regard brillant et sourire béat. Mais vous aurez sûrement la chance d’avoir un bonus émotionnel avec des vautours qui tournoient au gré des vents, ou une biche débusquée sur le chemin du retour. Avec les repères horizontaux, votre capacité à faire des phrases revient peu à peu. Le soleil va lentement se cacher, et une belle soirée se profile, remplie de toutes ces émotions vécues. Mais d’autres projets naissent déjà… et si on restait ?
La rando En ce matin frais d’avril, notre petit groupe se retrouve pour cette fameuse boucle autour du Garlaban, prévue l’hiver dernier, au coin d’une tartiflette. Salut tout le monde, la forme ? Tiens, il manque BC. Cinq minutes, puis un quart d’heure, c’est rien, mais quand c’est un retard systématique, ça peut lasser les copains… il est comme ça, BC. Toujours en retard. D’ailleurs il y en a un dans chaque groupe : Je vous présente BC, le Boulet des Collines. (Toute ressemblance avec une personne existante n’est sûrement pas le fait du hasard) |
Le boulet n’est pas prêt
BC arrive en retard, mais son sac n’est pas fait ; tout est là entassé dans le coffre. Désolé les gars, j’suis un peu à la bourre. Pas de problème, j’fais vite... Il tasse un peu le tout, le vieux coupe vent Ocazou, ça y est presque… attendez je mets de la crème… En principe il lui faut encore 5 mn pour lacer ses chaussures, et nous y sommes. On a patienté plus d’une demi-heure. Et avec un peu de chance, au pique nique ce sera : Mince, j’ai oublié mon eau !
Le boulet s’exprime
Nous avançons enfin. Mais point de grand calme ou de chants d’oiseaux. Car tout le temps, sur tout sujet, BC s’exprime. Il donne son avis éclairé, argumente, développe, et précise les choses. Certains disent qu’on l’entend bien avant de le voir ! Bien sûr, il est expert : en cuisine, en astronomie, en musique, en voile… Il parle tout le temps, et lorsqu’il parle, souvent s’arrête de marcher. Car BC est un théâtral, te tient le bras, ponctue ses phrases. Tu vois ? attends, je vais te dire… écoute-moi bien ! t’as compris le coup ? Le rythme de marche passe à celui de paisible croisière pour grands-mères.
Le boulet est un contemplatif Il aime profondément la nature, s’extasie devant tant de beauté. Et il partage son bonheur : T’as vu cette plante ? terrible, elle pousse entre les cailloux, comme ça, malgré la sécheresse de l’été ! (ok, on a compris, c’est du thym…) T’as vu comme il est blanc ce rocher ? une blancheur magnifique qui tranche avec la garrigue ! (ok, en même temps, c’est du calcaire…) Oui, il apprécie le paysage, et il fait des photos. Sans cesse il mitraille tout ce qui est à portée d’objectif. De près, de loin, avec les copains, ou avec lui-même… or pour bien cadrer, régler, il faut du temps. Il fait donc des pauses ; parfois plus de pauses que de marche. Et même si on fait tout pour garder un rythme modéré, il faut souvent s’arrêter pour qu’il nous rejoigne… la ballade de 4 heures va en devenir 7. Qui avait un rendez-vous ce soir ? |
Le boulet on n’sait jamais
Il va lentement, il est fatigué ; c’est vrai que son éternel sac de 50 litres semble bien rempli pour une sortie à la journée. Pas une poche de libre ! Alors que nos sacs hyper light de 15 litres sont suffisants. C’est à la pause de midi que nous réalisons l’ampleur du phénomène. Monsieur BC prévoit, car on n’sait jamais. On lui demande de nous présenter son fond de sac : tout d’abord, le coupe vent bleu délavé. Puis, de la même marque Ocazou, une veste polaire, des chaussettes de rechange, une trousse de secours complète (avec couverture de survie, atèle et aspi venin), le sac photo avec petite brosse, chiffon et multiples objectifs, un rouleau entier de papier toilette, une corde de 25m (en 11mm, c’est plus sûr), des jumelles, le livre des 100 plus belles randos d’Europe (pour faire des projets), un bout de matelas mousse pour déjeuner confortablement, le kit carte / boussole / couteau / briquet… Certes, on y trouve beaucoup de choses, mais il a bel et bien oublié son eau…
A chacun son boulet Oui, on lui fait quelques reproches à notre BC. C’est un fait, il est systématiquement en retard et a du mal pour l’organisation matérielle. Pour sûr, il n’a pas notre approche sportive de la rando. On peut dire qu’il est l’antithèse du style léger et rapide. Sans oublier son flot continu de paroles, qui anéantit tout espoir de calme en campagne. C’est vrai. Mais il est toujours de bonne humeur. Quoiqu’il arrive, notre BC prend la vie du bon côté, et apprécie chaque journée. Quand il en parle, ses soucis de boulot deviennent des histoires drôles. Il est une leçon de positivisme. Un bon souvenir, une nouvelle blague, il communique sa joie de vivre. Même fatigué il garde son large sourire, et aussi lorsqu’on se moque gentiment de lui. Avec le temps, on a appris à le connaître, puis à l’apprécier, tel qu’il est. Et si on s’en plaint parfois, on l’aime bien, notre Boulet des Collines. En plus il nous fait passer ses plus belles photos ! Oserai-je le dire ? Il nous manque un peu quand il rate une rando… |
Le grand style, c’est pour aujourd’hui ! Vous entrez dans le monde de l’escalade ? Vous voulez impressionner les copains ? Vous avez repéré la petite blonde du groupe ? C’est certain, vous avez décidé de vous la péter. L’escalade peut vous aider.
L’attitude
Au pied des voies, c’est la classe : Short surfeur et tatouage tribal, assorti d’une doudoune en plumettes de chez Mord Fesse ou Sport y va. Fini le collant fluo et le bandana dans les cheveux. Et ne pas oublier les tongs. Le but est de se faire remarquer : On parle fort, on conseille et on vanne. Vous vous imposez comme le patron, l’incontournable de la falaise. Et en vous équipant, laissez toujours quelques coinceurs surgir de votre sac, pour jouer le grimpeur aventurier qui revient d’un big wall en Patagonie. Bref, la discrétion c’est pas pour vous.
Ça y est, vous grimpez : Certains diront que l’escalade doit être un moment de communion avec le minéral, et que le respect d’un silence contemplatif doit être la règle. Que nenni ! On est là pour épater la galerie. Vous êtes donc priés de hurler aussi fort que vous le pouvez à chaque mouvement un peu difficile. Si le mouvement n’est pas compliqué et que vous êtes dans un 6a, débrouillez vous pour le passer de la manière la plus acrobatique possible. Vu d’en bas, vous devriez ressembler à Chris Sharma, un pape du hurlement viril. Mais attention, un avant-bras qui tétanise avec la dernière dégaine deux mètres sous vos pieds, et vos cris de bête sauvage risquent fort de monter de plusieurs octaves… et se transformer en miaulements de chaton apeuré. Vous perdriez toute crédibilité.
Le vocabulaire
Outre le vocabulaire obligatoire lié à la pratique (du mou, sec, …) vous devez suivre l’évolution des modes. Même si vous grimpez entre le sissa et le sibé, affirmez que vous êtes presque dans le sept (mais aujourd’hui les conditions ne sont pas favorables… trop humide !). Evitez les vieilleries du type « la varappe est un jeu plaisant, j’ai réussi l’enchaînement athlétique au deuxième passage ». Préférez « dément, j’suis une machiiine, j’ai croité en 2 runs ».
N’hésitez pas à utiliser un vocabulaire riche et détaillé, ça épatera la galerie. Par exemple oubliez « cette prise fait mal ». A remplacer par « le bord extérieur du bi doigts inversé est traumatisant lorsqu’on verrouille pour aller chercher le plat suivant »…
Encouragez avec des à muerte, racontez vos big fly, partagez votre dernier trip sur un spot majeur… D’accord vous allez vite lasser les vieux renards des falaises, mais eux on s’en fout. Votre priorité, c’est la petite blonde du groupe…
Vieilles histoires
Tel un le vieux guerrier, vous avez toujours une histoire à raconter. Vraie ou fausse, personne ne le saura. Ou bien racontez l’histoire hallucinante d’un copain très proche. D’ailleurs vous auriez dû partir en expé avec lui, mais il y a eu ce malheureux contretemps… L’art est d’épater la galerie. Avec un peu de tension dans la voix, laissez planer le suspens avant le dénouement, ça paye. Vous avez réalisé un enchaînement extrême (pas la peine de préciser que c’était en 6a), ou vous avez tenté de libérer une vieille voie d’artif sur pitons rouillés et branlants. Sans oublier d’étaler votre ineffable bonheur calcique de grimper les classiques du Verdon. Les veillées-grillades doivent tourner à votre avantage. Et n’oubliez pas, l’important n’est pas d’avoir beaucoup grimpé, il faut surtout beaucoup en parler.
Faire des sales blagues
Vous êtes le roi de la falaise, au dessus du lot des grimpeurs de base, alors tout est permis. Pour affirmer votre rang, rien ne vaut les sales blagues. Lorsque vous assurez, commencez à tester l’équilibre psychologique du grimpeur en lui demandant (lorsqu’il est bien haut) s’il a bien vérifié son nœud, ça va le faire douter. Autre tactique, dites d’une voix stressée « Attends, je crois que j’ai mis le grigri à l’envers ! ». A sa descente, profitez de la situation avec une tirade sur le contrôle de soi. Et si votre victime travaille une voie dure, laissez 2 mètres de mou en plus, il se rappellera de son vol ! Une autre blague qui va bien énerver votre partenaire : dans la section rési de la voie, bloquez sa corde au moment où il a besoin de mou pour clipper. Effet garanti. Vous pourrez rétorquer que vous, au moins, vous avez de l’humour. L’ultime blague, attachez l’appareil d’assurance (bloqué) à un arbre et allez boire un coup avec la petite blonde. Le grimpeur n’aura plus de mou et sera obligé de sauter. Le top.
Conclusion
Voilà, vous êtes fin prêt à affronter les falaises les plus peuplées en paradant, sûr de vous et de l’effet que vous produirez sur les néophytes, même si vous plafonnez dans le 6a. Mais sachez que ce jeu ne sera pas éternel, et que les grimpeurs chevronnés vous démasqueront rapidement. Pour continuer à frimer, il ne vous restera plus qu’à enchaîner les 8a sans trembler…